Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Oasis

13 juillet 2006

Kilito, ou le chantre mélancolique

                                               Kilito ou le chantre mélancolique

Qkilitouand l’envie de produire quelque littérature s’empare de moi, je me trouve en peine de pouvoir trouver le gîte à  mes pensées rebelles. Force est de constater que la blancheur vierge de la feuille avorte toute tentative de fixer par écrit les scènes de la vie. Cependant, cet état de blocage ne dure pas longtemps ; il se dissipe rapidement et le stylo auparavant stérile, se mue en une profusion discursive étonnante. Je me mets diligemment à l’exercice de retracer une période qui m’est chère. A cet égard, je me rappelle ces dimanches où, cloué aux comptoirs de la boulangerie gérée par mon père. Je subissais une injustice paternelle qui me vouait au labeur. Ma fureur était intense et se manifestait sous forme d’injures exprimées silencieusement. Résigné, j’affichais une mine morose et lugubre. Je devais être ailleurs, en train de botter le ballon avec mes amis ou encore d’aller à la plage un jour d’une étouffante canicule. Non, rien de cela ! Mon père croyait que le travail est indispensable pour parer aux déboires que pourrait entraîner une mauvaise fréquentation. Pourquoi encourrait-il le risque de me voir dans la débauche ? Il était convaincu que le travail rend l’homme responsable  vis-à-vis des exigences de la destinée.
                    Loin de moi l’idée de faire le procès de l’injustice paternelle, au contraire, je crois plus que jamais qu’elle me fut d’une grande aide ; d’ailleurs mes goûts et mon penchant pour la langue française se sont forgés à partir de cette période.

         Mon rôle dans la boulangerie consistait à remplacer un ouvrier en repos le dimanche ; je vendais le pain et autres produits qu’on trouve habituellement dans une boulangerie. Cette tâche me mettait en contact avec des gens de toute sorte, les bons, les mauvais et les truands. J’étais devenu connaisseur dans l’espèce humaine, car je pouvais distinguer facilement à quel  genre appartient tout nouveau venu dans la boulangerie. Quant aux clients habituels, je me dispensais de les dévisager et de me faire des supputations à leurs propos ; je les connaissais si bien qu’ils constituaient un simple détail monotone parmi d’autres.

       Un dimanche, alors que je finissais de servir un client, un monsieur s’avança et me demanda un croissant et une baguette. Sa requête fut d’une manière on ne peut gentille. Il y’avait dans cet homme une espèce de sacralité que je n’ai pas pu expliquer que des années plus tard, à cause de sa façon de parler et de se tenir, en attendant d’être servi par les ouvriers. Tout spécialiste de l’espèce humaine que j’étais, je ne pouvais guère élucider le mystère qui entoure ce monsieur . Je servais cet homme chaque dimanche ; il se vêtait souvent d’une fine djellaba grise froissée, une cigarette à la bouche que circonscrit une fine barbiche noire. Ses yeux régulièrement mi-clos à cause de la fumée qui se dégageait de la cigarette. Je demeurai fasciné par cette personne dont je ne connaissais rien, mais dont l’allure et une certaine étrangeté m’attirait à lui. C’est dans cet esprit de curiosité candide que j’appris, par un ouvrier, que le monsieur en question était professeur à l’université de Rabat,  qu’il se nommait Kilto et qu’il écrivait des livres en français. Partant, l’estime que je portais à ce monsieur doubla et  m’accula à lire et à découvrir la littérature française ; car je croyais incontestablement que la langue qu’il employait dans ses écrits était à l’origine de son comportement pacifiste et résigné. Je pense alors à mes maîtresses d’école primaire qui ne nous battaient pas et se comportaient avec nous comme avec des adultes, alors que leurs collègues de langue arabe nous mettaient à rude épreuve. Kilito m’intriguait par son allure, par sa nature d’homme distrait et pensif, on dirait un chantre mélancolique qui sillonne les rues nonchalamment.

           Quelques années plus tard, je m’inscrivis au département de langue et de    Littérature françaises de la faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Rabat. Je découvris enfin Kilito l’enseignant et l’écrivain et j’eus, par la même occasion, des réponses à tant de questions qui restèrent en suspens pendants des années.

                                                              hazbiabdel@hotmail.com

                                      

      

         

Publicité
Publicité
Publicité